De 1927 jusqu’au début des années 1980, les photographes de la légendaire agence de presse ont suivi la marche du monde, ses conflits, ses grands travaux, ses mouvements sociaux, ses espoirs, ses progrès ou ses grands artistes. Leurs images constituent la mémoire visuelle du XXe siècle, un héritage unique et colossal : plus de dix millions de photographies, sur négatifs ou plaques de verre.
Consulter les archives de Keystone, c’est dérouler le roman-fleuve d’un siècle : Paris à la Belle Epoque, seconde guerre mondiale, guerre d’Algérie, grèves ouvrières, mai 1968, mais aussi Buster Keaton, la famille Kennedy, Françoise Sagan ou encore Cassius Clay et Grâce de Monaco.
En octobre 1914, Bert Garaï, un immigrant hongrois, débarque en paquebot à New-York après avoir séjourné à Berlin, Paris et Londres. En Europe, c’est la guerre depuis quatre mois. Le jeune homme trouve un emploi dans une agence de presse de Manhattan. Il écrit d’abord des enveloppes puis rédige des légendes photos. En 1917, lorsque les Etats-Unis déclarent la guerre à l’Allemagne, Garaï photographie son fils de quatre ans en uniforme de soldat américain et intitule son cliché : « La plus jeune recrue de l’oncle Sam ». La photo fait la une des journaux, partout dans le monde. Garaï est alors promu directeur adjoint de l’agence et y créé un département de reportages d’actualité. L’agence est peu après rachetée par la Keystone View Company qui lui donne son nom. Dès la fin de la guerre, Garaï retourne en Europe pour couvrir l’actualité comme reporter. Basé à Londres il y fonde une première agence Keystone. C’est le succès. Aidé par un partenaire financier, il rachète ensuite l’agence de New-York et fonde dans la foulée un bureau à Berlin en 1923. En 1927, Keystone Paris voit le jour. La direction en est confiée au frère cadet de Bert Garaï, Alexandre Garaï. Ce dernier devient l’une des grandes figures du photojournalisme en France. Il recrute les meilleurs reporters. Partout sur la planète, les photographes Keystone, qui restent anonymes puisqu’ils ne signent pas leurs images, alimentent la presse. En 1940, au moment de l’occupation, l’agence connaît l’exode, dans un vieux camion transformé en laboratoire photo ambulant. Après le conflit, aucun événement politique, historique, social, culturel ou artistique mondial n’échappe à l’œil de Keystone, et cela jusqu’au milieu des années 1980. Aujourd’hui, la presse n’est pas la seule à faire appel à ses archives. Des historiens mais aussi les amateurs de photojournalisme de tous horizons cherchent leur bonheur parmi ces millions de clichés qui recèlent certainement encore bien des trésors méconnus.